De l’importance des absents, de la déresponsabilisation des parties : la recherche d’un coupable n’a jamais offert de solution au problème.
Comme mentionné précédemment, le médiateur est un miroir, ce qui va lui permettre de réfléchir une fois de temps en temps.
Mais on sait que les miroirs ont cette faculté de ne pas renvoyer l’image des fantômes, ni des vampires : lors du bal costumé d’un film éponyme, le héros s’aperçoit qu’il est le seul humain vivant dans la pièce lorsqu’il se croit entouré de cent noceurs mais qu’il se voit désespérément seul dans le reflet de la glace du salon : c’étaient des fantômes, des vampires dont la présence n’est qu’une illusion.
En médiation, les fantômes, bien souvent vampires, sont très présents. Qui peut dire, lors d’une succession sanglante, que le défunt n’est pas dans la pièce ? Qui peut imaginer que, lors d’un héritage, lorsqu’un frère et une sœur se disputent la fin d’un paquet de lessive entamée, exigeant une balance de cuisine pour répartir les quelques centaines de grammes de détergent, ils ne cherchent pas à récupérer ainsi un peu de l’amour paternel dont c’est la dernière cristallisation ?
Papa est bien dans le paquet de lessive, même et surtout s’il n’est plus physiquement de ce monde.
Les absents, les acteurs cachés sont clefs en médiation. Il est du rôle du médiateur de comprendre leur existence et leur place, et s’il ne les invoque que rarement, les parties s’en chargeront. Le cas d’une succession est la plus part du temps limpide, et le conflit qui opposera les héritiers fera très souvent ressortir le défunt, mais les acteurs cachés peuvent avoir un art de la dissimulation beaucoup plus développé.
Une amie, conseillère de l’une des parties et considérée par l’autre comme son âme damnée. Un ex-mari prestigieux, dont l’ombre plane sur toutes les décisions concernant une situation dont il n’est même pas au courant
« Que ferait X ? ».
La liste des spectres vivants ou morts qui s’invitent à la noce du conflit est infinie, et leur présence à la table de la médiation souvent pesante. Dans le meilleur des cas, ces absents présents auront été mentionnés durant les entretiens individuels, et souvent par la partie qui en est le moins proche
« Méfiez-vous il est totalement sous la coupe de ses enfants »
mais pas toujours, et c’est au médiateur de recouper les information pour, comme l’astrologue Urbain De Verrier, découvrir la planète Neptune par calcul avant de pouvoir l’observer.
L’absent qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui se situe dans le monde professionnel. C’est le responsable du département.
C’est dans son équipe que le conflit a couvé, c’est dans le terreau de son jardin que les plantes ont poussé de travers, et c’est souvent lui qui a demandé la médiation.
Parfois, les parties, en entretien individuel, veulent savoir s’il sera intégré dans le processus. Quand elle posent la question, c’est qu’elles subodorent que ca ne sera pas le cas.
Le manager peut ne pas souhaiter venir pour plusieurs raisons, sur lesquelles il n’appartient pas au médiateur de se faire une idée. Je préfère vous en laisser le soin.
Il peut invoquer le fait qu’il ne fait pas partie du conflit.
Il peut invoquer le fait que sa présence risquerait de faire office de catalyseur, un effet de halo qui empêcherait les parties de réellement discuter entre elles.
Il peut invoquer – c’est arrivé- le fait qu’il souhaite utiliser cette médiation comme un outil managérial pour responsabiliser les parties et les faire grandir.
Il peut invoquer le fait que son agenda ne lui permet pas d’être présent aux réunions.
Il invoque rarement le fait qu’il a peur.
Le médiateur ne doit pas avoir d’avis sur la question, surtout s’il en a un. Nul ne saurait être obligé de rentrer en médiation ni de la continuer, jamais d’acharnement, sa décision appartient au manager. Lorsque l’ensemble des parties, durant les entretiens individuels, réclame à corps et à cris la présence du manager, le médiateur se borne à lui remonter l’information. Lorsque les parties -c’est rare car il y a tout de même le lien de subordination qui traine par là - en font une condition vitale de leur propre participation, le médiateur remonte également l’information au manager.
En général celui-ci ne change pas d’avis.
Mais après il faut gérer son spectre. Car s’il ne s’invite pas au bal, d’autres le feront pour lui. C’est une des illusions de médiation réussie dans laquelle peut tomber le médiateur : la solution du problème entre A et B, pourquoi ne pas la trouver sur le dos de C ?
Le problème est que parfois, A et B ont raison : l’intervention de C serait utile, voire vitale. Et d’ailleurs, rien ne les empêchera de se mettre d’accord sur une remontée commune qu’ils lui feront dans ce sens.
Mais l’esprit de la médiation n’est pas la déresponsabilisation des parties au détriment d’un tiers : c’est tout l’inverse.
Commençons donc par étudier ce qu’il appartient aux individus assis autour de la table de faire ou de ne plus faire, lorsqu’ils sont en conflit, pour que ce conflit s’interrompe.
Il sera toujours temps de remonter des doléances au manager par la suite, et celles-ci auront un poids d’autant plus fort que A et B auront aplani leurs différents et rétabli une manière de travailler ensemble.
Comments