
Robert s’est fait opérer de l’épaule il y a quinze jours. Boxeur semi professionnel, il est convalescent et commence à tourner comme un lion en cage dans un quotidien qui l’enferme au moins autant que la stupide attelle qu’on a essayé de lui faire porter et dont il s’est débarrassé hier.
Il se rend à son club pour entrainer un de ses poulains et il est de mauvaise humeur.
Roger, quand à lui, est inquiet car son fils de 9 ans doit se faire opérer d’une occlusion intestinale subséquente à une appendicite. Le petit a perdu quelques kilos et le médecin a décidé qu’il fallait agir. Roger doit aller à l’hôpital ce matin, pour voir l’anesthésiste même s’il sait que ça ne sert à rien, il a besoin qu’on le rassure.
Il est en retard
Il s’en aperçoit en sortant de chez lui, regardant son portable qui vient de vibrer d’un message visiblement envoyé par son ex-femme. Retard plus message, Roger a la bouche sèche et il se met à courir tout en essayant de lire le message.
Il percute donc Robert, en pleine accélération, et -évidement- sur la mauvaise épaule. Celui-ci, l’humérus à nouveau sorti de l’articulation, hurle de douleur, tombe par terre, mais l’adrénaline et l’habitude du combat le relèvent aussi vite et il accompagne son « ça va pas espèce de cinglé » d’un uppercut du gauche qui casse les trois dents de devant de Roger et l’envoie au sol.
Si vous voulez je vous le mets dans le coma après s’être cogné la tête contre un lampadaire mais je pense que vous avez l’idée, la question qui nous vient à l’esprit c’est, qui est responsable ? Qui doit réparation à l’autre ? Ou se trouve la faute ? Est-elle entièrement chez l’un ?
L’acte fondateur, c’est Roger. L’intention, on pourrait dire que c’est Robert. La faute….
En fonction de notre carte mentale composée de nos connaissances, nos expériences, nos valeurs et nos perceptions, et selon le scénario de vie que nous avons tous inconsciemment construit entre deux et six ans, nous allons tous apporter des réponses assez différentes à ces questions.
Le droit laisse au juge la responsabilité d’en décider, en écoutant les parties et en appliquant la règle. Mais dans le processus judiciaire, les parties n’ont pas besoin de s’écouter l’une l’autre, puisqu’elles ne doivent pas arriver à un accord.
Elles ne doivent pas se mettre en situation de comprendre, ni de ressentir. Surtout pas.
Dans le meilleur des cas, Robert va se dire qu’il aurait pu se maitriser, et Roger qu’il a fait n’importe quoi en percutant ce malheureux le pif dans son portable, mais c’est peu probable.
On va plutôt entendre « ce bourrin m’a cassé trois dents le jour de l’opération de mon fils » d’un côté et « cet abruti m’a démis l’épaule parce qu’il regardait son portable et je suis reparti pour six semaines d’immobilisation avec de potentielles séquelles ». Ils ont d’autant plus besoin de penser cela qu’ils y ont un intérêt direct, ils veulent influencer le juge dans sa décision et vont tout faire pour se victimiser au maximum, puisqu’un tiers, qui les écoute, va prendre la décision les concernant, en appliquant dans le meilleur des cas les fameuses « circonstances atténuantes ».
Le droit, et c’est sa beauté, dépossède les parties de leur pouvoir de décision sur la gestion du conflit : la vendetta n’a pas fait ses preuves comme processus de résolution, et l’irruption du tiers pour trancher correspond bien à l’idée qu’on se fait de la civilisation.
Une partie du problème, c’est que nos héritages ancestraux nous poussent, lors d’un conflit, à la destruction pure et simple de l’ennemi, dans une bonne logique de lui ou nous. Pour nos ancêtres préhistoriques, on voit bien que la cohabitation avec un ours dans une caverne puisse être un sujet de tension, et que la seule façon d’en sortir soit la destruction de l’un des acteurs, plutôt que de les pousser au dialogue et à l’empathie. En tous cas, moi je n’irais pas médier un ours dans une grotte en lui demandant d’écouter les arguments de Cro-Magnon, j’aurais plutôt tendance à conseiller à celui-ci de régler son compte à l’ursidé ou de choisir une autre cavité.
La médiation ne se justifie pas dans tous les cas, loin de là.
Mais on se fait de moins en moins courser par les ours au XXI eme siècle, et on continue à vouloir détruire l’ennemi, nourrissant, aggravant ainsi le conflit au lieu de le résoudre.
Maintenant qu’il y a moins d’ours, et qu’on a notre ami l’ordre public qui sert quand même de clôture électrique évitant à la chèvre de monsieur Seguin de sortir du pré, peut être pourrions-nous rendre un peu de pouvoir aux parties ?
Le médié doit donc aller faire un tour sur la colline de l’ennemi, non pour la conquérir mais pour y admirer la vue. Si notre œil gauche ne voit pas la même chose que notre œil droit, puisqu’ils ne sont pas exactement au même endroit -c’est ça qui nous permet de voir en relief, en passant-, il est compliqué de croire qu’une autre personne puisse voir la même chose que nous, ou disons, puisse voir les choses de la même façon.
Donc essayer de voir les choses comme il les voit est probablement une bonne idée, pas forcément pour être d’accord, mais déjà pour comprendre…
Le problème, c’est que le chemin pour se rendre sur la colline de l’autre peut être escarpé, dangereux, inconnu…
Alors à quoi sert le médiateur ?
Simplement à fournir les bonnes chaussures pour le trajet, et à baliser celui-ci.
« Artisan de l’idéal », le médiateur va aider les parties à rétablir le dialogue.
Et ça marche.
Dans un prochain billet nous essayerons de comprendre comment.
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