
« Le problème de ce Comex ? Vous voulez le problème de ce Comex ? Je vais vous dire, moi, ce que c’est, le problème de ce Comex. Enfin, disons 80% du problème de ce Comex. C’est pas compliqué de toutes façons, c’est une personne. 80 %, une personne.
Et là, votre interlocuteur vous donne un nom, que vous notez en silence.
Sauf que les trois personnes qui se sont succédées ce matin ont donné trois noms différents… Si on agrège on est déjà à 240 % de responsabilités, et le comex en question est composé de six personnes… en toute logique on devrait arriver à 480 %, ça ne va pas être simple.
Dans les trois personnes qui se suivront, deux avoueront une tension ultime avec l’autre, et le troisième dira, oui, tout cela est compliqué mais rien de grave…
Mandaté pour aider un comex dysfonctionnel à résoudre ses blocages et aller de l’avant, la médiatrice et son co-médiateur reçoivent chacun des acteurs individuellement pour écouter, comprendre, questionner, et poser le cadre. Ils proposeront ensuite de réunir tout le monde dans une assemblée plénière afin de permettre à chacun de déposer ses visions, ressentis, analyses des faits et de leurs origines, pour ensuite passer, dans le meilleur des cas, à des ébauches de solutions qui pourront se clôturer par un accord.
La médiation, en France, c’est ça : restaurer le dialogue en permettant aux parties de déposer leurs émotions afin de permettre à l’autre de les entendre, puis, dans le meilleur des cas, de les écouter pour en tenir compte dans son analyse des faits, de leurs causes et de leurs effets.
Car chacun des acteurs, vu séparément, va plus ou moins se lâcher sur les autres. Les médiateurs écoutent, questionnent, reformulent, et glissent quand même à la personne qui leur fait face que, dans un monde parfait, elle devrait pouvoir dire les mêmes choses à l’ennemi, en face, lors de la réunion plénière..
Alors peut être avec d’autre mots, qu’en pensez-vous ?
C’est ainsi que
« C’est une alcoolique qui a couché, je le sais de source sure, avec tout le monde pour en arriver là »
se transformera en
« Je sais que ta vie personnelle n’est pas toujours facile mais parfois peut-être que tu l’apporte trop au bureau, ce qui n’est pas simple à vivre pour les autres. »
Certains pourront déceler une part d’hypocrisie, mais c’est sous-estimer le pouvoir du verbe.
Les médiateurs se bornent au début à renvoyer les parties à leur propre vocabulaire. Si un traitre, c’est toujours un ami à l’origine, c’est quand même devenu un ennemi. Or l’ennemi est bête, puis qu’il pense que c’est nous l’ennemi. Alors que c’est lui, disait le bon Desproges. Rappeler aux parties que l’autre ressent probablement les mêmes émotions négatives, mettre en place une empathie un peu forcée en garantissant un cadre, c’est les pousser à modifier naturellement leur attitude.
Les anglo-saxons ne jugent pas utile de confronter les parties : pour eux, la catharsis des émotions n’est pas salutaire.
En France, c’est l’un des éléments centraux de l’outil.
Après avoir vu les parties longuement, les avoir écouté dire du mal de l’autre et mettre en avant le coté subi de la situation -Il est bien rare que l’on se définisse comme bourreau, la position adoptée est essentiellement celle de victime de l’autre ou de la situation, le médiateur va recueillir l’accord de chacun pour une assemblée plénière, et faire signer les engagements de confidentialité.
Si l’on peut se permettre une métaphore, pour y arriver, le médiateur doit prendre certaines caractéristiques d’une particule de physique quantique :
Il doit passer par les deux chemins en même temps.
Il doit croire et accepter chacun des point de vue, pourtant opposés. La différence, c’est que la particule quantique choisit un chemin lorsqu’elle est observée. Le médiateur ne choisira jamais de chemin, et il est observé en permanence. Il n’a pas d’avis. Il n’a pas de solution. Il questionne, reformule, maintient les règles du cadre qu’il a fixé, confidentialité, respect, écoute, mais il ne proposera jamais de solution.
Alors pourquoi ? Parfois une solution lui saute aux yeux, l’éléphant dans la pièce qu’il est seul à voir car il n’est pas émotionnellement engagé.
Mais ça sera son éléphant. Sa solution. Pas celle des parties.
Et de fait, si les parties adoptent, de guerre lasse, la solution d’un tiers, le poids de leur signature en bas de l’accord sera infiniment plus léger.
Cela dit, en bon miroir, rien n’empêche le médiateur de réfléchir.
Nous verrons comment dans le prochain billet.
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