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camilledarjuzon

VI La roue tourne



De la matière molle à une modélisation sérieuse : comment structurer l’approche d’un sujet essentiellement émotionnel et fixer un cadre dont les angles sont rarement droits. 


Comme beaucoup de matières considérées comme molles, la médiation a été très réfléchie et très modélisée, et, à l’instar du coaching, on a vu fleurir des expérimentations plus ou moins convaincantes dans les quinze années passées.  Ces dérives créatives peuvent être intéressantes mais sont souvent plus des manières de développer ou de prolonger un business que de mettre en place des outils construits et -sérieux, disons-le. Certains posts que l’on peut trouver sur Linked in vantant le coaching en galipettes ou la médiation parmi les loups avaient inspiré à l’auteur de ces ligne un sonnet en son temps :


Coaching et Canasson

Coaching et vie à deux

Médier avec le feu

Médier avec les thons

 

Médiation sur le pont

Coaching chatouilleux

Médier en d’autres lieux

Coaching accordéon

 

Coaching dans les près

Coaching mais après ?

Médiation et retraite,

 

Car pour payer ses traites

Aujourd’hui tout s’essaye,

Mais le sérieux, ça paye… 

On a vu des gens proposer de mélanger la médiation avec le câlin aux arbres : plutôt que de serrer un arbre dans ses bras, le serrer à deux et avoir les mains qui se rejoignent, sans se voir donc, pour rétablir le contact… encore faudrait-il trouver des arbres correspondants aux gabarits des médiés, sans parler des médiations de groupe, qui obligeraient j’imagine des voyages vers les forêts de Sequoia géants du nord des Etats-Unis.

Mais s’il existe, comme dans toute science molle, de joyeux délires qui font sourire quand ils ne font pas peur, et une créativité infinie quand il s’agit de vider le portefeuille de clients trop ouverts, il existe également un réel travail de recherche en matière de médiation.

L’une des figures de proue de cette modélisation est Thomas Fiutak, professeur à l’université du Minnesota, qui a écrit un livre fameux nommé «  le médiateur dans l’arène », et dont le modèle est considéré aujourd’hui comme l’une des bases de la pratique de la médiation. C’est ce modèle que nous allons tenter d’illustrer aujourd’hui.

Il se présente sous la forme d’une roue, elle-même divisée en quatre parties, avec une catharsis entre la phase deux et la phase trois, que l’on pourrait quasiment considérer comme une phase en elle-même.

La première phase de la roue, c’est le quoi.

Les faits. Ce qui s’est passé. Selon lui. Selon elle. Selon eux.

« Mais pas du tout. Absolument pas. Mais je suis désolé monsieur le médiateur vous voyez bien qu’elle dit n’importe quoi j’ai jamais vu une mauvaise foi pareille. Non mais là, quand même, ce qu’il ne faut pas entendre »

Il est fascinant de constater que les parties ne sont pas d’accord sur les faits, qui pourraient sembler indiscutables, puisque de l’ordre du réel. Mais pas du tout. On a déjà vu dans un billet précédent que nos deux yeux ne voyaient pas la même chose.  Donc deux voisins encore moins. Alors, deux ennemis !!!...

Comment le pourraient-ils ? De plus, n’en déplaise à Saint Thomas, on ne voit que ce qu’on croit.

Nous appliquons notre carte mentale au réel, nous voyons ce que nous voulons voir, ce que nous avons inconsciemment inscrit dans notre scénario de vie.

Et le tout sans mentir ! Demandez à la police ou au juge la valeur d’un témoignage…

Donc la phase un, c’est de faire constater le désaccord sur le désaccord. Délimiter le conflit. Comme dans chacune des phases, chacun raconte, chacun écoute. Puis raconte. Puis écoute. Une mise à plat exhaustive des faits.

Jusqu’à ce qu’on soit d’accord sur ce qui s’est passé.

La seconde phase, c’est le pourquoi. Souvent, c’est là que ça commence à saigner. Le pourquoi, c’est l’origine, la recherche de l’intention, l’accusation, la paranoïa.

« Je sais très bien que lorsque tu ne t’es pas occupé de faire réparer la piscine mitoyenne, c’est pour que je ne puisse pas me baigner des vacances »

« Et c’est pour ça que tu as fait couper l’électricité dans le garage, bien sûr ! » etc.

Le pourquoi se mélange souvent avec le quoi, car cette roue peut tourner à l’envers : rien n’interdit, à tout moment, de revenir vers les faits.

« Ah oui, j’ai oublié de vous dire… »

Mais il est totalement clé, et dangereux, puisque c’est la joute elle-même qui se met en scène : les mots peuvent être blessants, les ressentis négatifs accusatoires, et les peaux bien à fleur…

C’est l’instant où le cadre – et le médiateur - prennent toute leur importance : le ton peut monter, le vocabulaire changer de registre pour aller payer ses respects à Michel Audiard, et si de nombreuses balles se perdent dans le filet certaines font mouche.

Le médiateur calme le jeu, recadre les parties quand elles débordent, et doit se mettre particulièrement en observation des impacts de ce qui se dit sur chacune des parties, pour les faire ressortir.

« Monsieur X, avez-vous entendu ce que vient de dire Madame Y ? »

« Oui »  (parfois, « évidement », quand il est en colère)

Et puis-je vous demander ce que ça vous fait ?

Si ça le blesse, le fragilise et qu'il le dit, on va demander à Madame si, à son tour, elle a bien entendu, et ce que ça lui fait. Si ça le met en colère, on va le laisser exprimer cette colère en la cadrant, et creuser, creuser jusqu’à ce qu’elle laisse place à quelque chose de plus audible, ce qui finit en général par arriver.

Cette phase permet notamment de mettre en lumière les éventuels phénomènes d'escalade dans le conflit : monsieur peut réaliser qu'il a prêté à madame des intentions qu'elle n'avait pas. Lui sait en revanche que sa réaction était calculée...

Toutes les phases sont importantes mais celle-ci est vitale, car elle débouche sur la catharsis  des émotions : chacun se livre, et notamment à l’autre, et assiste à la même mise à nu virtuelle de son ennemi. Chacun va, un temps, déposer l’armure sans être bien sûr que l’autre ait bien rangé sa masse d’arme. Chacun va prendre un risque, tempéré par le cadre et la présence du médiateur, certes, mais un risque quand même.

Cette offrande mutuelle est la clé de la médiation. 

Nous verrons les deux phases suivantes dans un prochain billet.

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